En 188 Contes à régler (1998)
Fasciné par le mythe du docteur Frankenstein, il avait consacré toute sa vie à bricoler un laboratoire où il pourrait concevoir une créature vivante.
Après des années d'essais peu convaincants, il arriva à ses fins et crut même être parvenu au-delà de ses espérances : il croyait savoir que sa première expérience avait presque toutes les chances d'être une réussite, évidemment révolutionnaire. Mais il savait aussi que, pour des raisons techniques, cette grande première serait une dernière. Pas question de lancer sur le marché des monstres à la chaîne ou des petits génies artificiels.
C'est alors qu'il eut l'idée.
Non pas celle de donner la vie à une créature étrangère probablement très décevante, mais celle de donner la vie à la seule personne qui lui importait sur cette terre : lui-même. Se faire revivre après sa mort.
Depuis vingt ans déjà il travaillait avec un assistant sans imagination, mais virtuose de l'ordinateur, donc capable de maîtriser toute la complexité des circuits les les plus plus subtils de l'expérience.
Pour ne pas arriver au trépas en bouillie ou rongé par quelque maladie, le chercheur décida de se donprenait à toute allure des virages dangereux et qu'il roulait au milieu de la route.
Il ne vit que trop tard arriver, en sens inverse, le camion qui le percuta de plein fouet et le tua sur le coup.
La jeune femme qu'il avait rencontrée, la semaine passée, n'était évidemment pas La mort. C'était plus modestement sa mort. Mais, de toute façon, il devait mourir dans l'année. La femme avec laquelle il res- tait vivre depuis trop longtemps l'aurait abattu au revolver dans une crise furieuse de jalousie. Et, si déjà il avait pu échapper à ces deux fins violentes, il se serait vu licencier par le rédacteur en chef de son journal qui le brimait depuis cinq ans, et, ne voyant plus comment survivre, il aurait mis fin à ses jours en décembre.
La mort, en effet, pour lui comme pour tous les humains, avait ses fidèles employés et de ponctuels délégués de remplacement.