En 188 Contes à régler
On m'avait prévenu que débarquer sur P. Bis, planète strictement parallèle à notre Terre, réservait des sensations assez surprenantes. Se voir dédoublé et installé dans une vie absolument conforme à celle qu'on avait toujours menée sur Terre ne pouvait être que fort déroutant. Plus déroutant encore que j'aurais pu l'imaginer. Je retrouvai le décalque exact de mes amis et ils exerçaient tous la profession que je leur connaissais, de même que leur domicile m'était familier.
Mais, moi, en revanche, je n'étais pas exactement moi. Alors que j'avais toujours vécu très mal de ma plume de romancier en marge de stupides boulots peu lucratifs, sur P. Bis j'étais un journaliste brillant, très connu et fort demandé. Et surtout, je n'avais pas épousé la même femme, ce qui expliquait sans doute ce déraillement dans ma carrière. J'eus alors l'idée de rechercher la femme qui avait été la mienne sur Terre et j'appris qu'elle vivait toujours, mais aux Etats-Unis, mariée à un architecte de Boston. Alors là, je ne comprenais plus du tout, je me perdais dans un dédale d'absurdes conjectures.
L'explication était pourtant d'une lumineuse évidence. Sur Terre, la jeune femme que j'avais épousée à la fin de la guerre n'aurait pas pu rencontrer cet Américain puisqu'il était mort le 6 juin 44 en débarquant sur la plage d'Arromanches. Mais sur P. Bis, le débarquement avait eu lieu le 5 juin, comme prévu initialement.
Ce qui avait épargné et tué d'autres hommes.