En 188 Contes à régler
La vie est un cauchemar dont j'ai peur de m'éveiller. ~ Louis Scutenaire
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Cette planète de petite dimension, à peine découverte par un groupe de navigateurs indépendants, n'avait pas encore de nom.
Ce qui n'altérait pas sa réputation secrète. Les vues aériennes ramenées de là-bas attisaient en effet la convoitise de tous les vendeurs de vacances solaires dans des paysages de rêve. Et ceux de ce monde encore anonyme dépassaient en grandiose tout ce que les promoteurs les plus ambitieux pouvaient souhaiter: un fascinant compromis entre le charme de l'Irlande, la sauvagerie de la Terre de Feu, la luxuriance de certaines îles des Tropiques et l'âpre poésie du Colorado.
Bref, une affaire en or massif. Que l'agence Cook emporta après d'épuisantes tractations. L'astronef qui emportait les pionniers de l'agence vers la planète Cook y débarquèrent exactement un an après ceux qui avaient découvert ce monde. Enchanteur, impressionnant, il l'était au-delà des descriptions et des espérances. Non seulement le paysage se révélait un véritable concentré des merveilles éparses de la Terre, mais aucune fourmilière d'habitants n'en souillait la primitive beauté, vierge de constructions minables, de potagers, de terrains vagues et de sinistres lotissements.
Le lendemain, cependant, l'équipe Cook accusa une déception qu'elle n'attendait pas. L'éblouissant panorama d'îles, de criques, de montagnes et de lacs qu'on avait admiré la veille était écrasé par un brouillard tellement épais qu'on ne distinguait même plus le sol sur lequel on mettait le pied.
Personne ne revit plus jamais le paysage choc entrevu la veille. Ni celui-là ni un autre sur la planète Cook. Le brouillard ne se leva pas dans le courant de la journée, ni le lendemain ni le surlendemain. Et il ne perdit jamais rien de sa densité, pas même pendant quelques minutes.
La panique gagna l'équipe de prospecteurs après quelques jours. Le brouillard ne s'était pas dissipé durant une seule heure et les hommes avaient pris la précaution d'être sans cesse reliés à leur astronef pour être sûrs de pouvoir le retrouver. Un mois plus tard, découragés, ils abandonnaient la planète, avec la sensation que cette brume gris sale finissait par s'infiltrer dans leur cerveau.
Absurde épopée qui découlait d'une ironique coïncidence: les deux astronefs des Terriens, le premier par hasard, le deuxième par soif du profit, avaient débarqué sur ce monde le seul jour de l'année où la brume se dissipait durant toute une journée pour retomber le lendemain, aussi implacable qu'une énorme housse opaque. Et cela sans une heure de trêve pendant tout un an.